En barbarie
En pensant au corps et aux nombreuses circonstances où il est dépouillé de toute dignité, je me suis souvenue de photos que j’avais prises.
C’était un bizutage en classe préparatoire, en 1989, deux ans après avoir moi-même subi le même genre d’humiliations. J’avais l’impression de prendre une forme de revanche en photographiant ces scènes qu’avec le recul je ne comprends toujours pas. Je possédais alors un appareil photo merveilleux, un rollei 35 qui ne faisait aucun bruit et, avec quelques précautions et à condition de renoncer à tout effort de cadrage, ne se remarquait pas.
Je me suis promenée toute la journée parmi les acteurs (très occupés et absolument indifférents à ma présence) de cette énigme absolue.
Ne voulant pas être interrompue dans ce que je considérais, non sans naïveté, comme la construction d’un témoignage indispensable, j’agissais assez vite ; voilà qui explique que la plupart des photos que j’ai prises se soient révélées inexploitables (c’était la préhistoire, l’époque prénumérique où on ne pouvait rien savoir de la qualité des photos avant le développement…). A trois exceptions près, que je fournis et commente ici :
[portfolio_slideshow]
Amertume
Avec le recul, ce qui demeure, c’est la violence du mensonge qui entourait ces scènes de barbarie – comment appeler autrement de tels déchaînements ? et je ne parle pas de la situation bien plus invivable des internes, soumis jour et nuit pendant plus d’une semaine à la persécution.
Mensonge collectif au sujet d’une prétendue marginalisation de ceux qui auraient refusé d’être bizutés : comment peut-on le savoir si personne n’a essayé le rejet en masse?
Mensonge encore à propos de la solidarité que cette initiation ne manquerait pas de créer : quelle solidarité ? Où ça ? Jamais aucun de mes bizuteurs ne m’a, par la suite, adressé la parole. Qu’aurait-il pu, d’ailleurs, trouver à me dire ?
Hypocrisie du corps enseignant et administratif qui ne s’opposait pas et fermait les yeux : des gens pourtant parmi les plus éduqués qu’on puisse trouver ! On comprend mieux les attitudes de ceux qui ne sont pas censés disposer d’outils sophistiqués pour réfléchir à leurs actes.
Bref, si on se demande parfois comment définir le fascisme, pas besoin d’aller chercher les exemples très loin.