Ce frère-là : dans la presse

L’Abeille, 29 octobre 2010

Ce frère-là est signé Anne-Constance Vigier dont on apprécie toujours la  » petite musique  » efficace. La narratrice a perdu son cher guitariste de frère. Elle aussi se penche sur son passé parfois trouble, de 1972 à 2005 : les parents, les vacances, l’enfance, l’amitié, l’intimité, l’amour, la mort et… son frère. La vie est un long fleuve aux mystérieux méandres. Le lecteur est sous le charme.

Jean Leclerc

 

L’Avenir, 10 juillet 2010

Coup de coeur

Ce passé-là

Un enterrement un jour de marché, celui du frère de la narratrice qui permet à la famille de se retrouver. Sans beaucoup de chaleur, ni de douceur, déplore la jeune femme qui décrit avec finesse les sentiments qui l’habitent et revit ces moments si précieux connus avec le défunt. Une écriture magnifique.

M.P.

 

La Vie, 29 juillet 2010

Comment écrire un roman intimiste sans verser dans un égotisme laborieux et insupportable ? Anne-Constance Vigier propose une solution efficace : une grande économie de moyens, par moments même une certaine sécheresse, et une sorte de flou, d’indécision dans la succession des scènes, dans les sentiments exprimés, une porosité entre le rêve et la réalité, entre le présent et le passé, qui préservent de tout pathos, de toute insistance. La narratrice a perdu son frère, tué en trois mois par une maladie dont on ne sait rien de plus. Dans sa détresse, elle se promène de souvenir en souvenir. Leur enfance. Leur mère. La femme de ce frère mort, et les enfants qu’ils n’ont pas eus. L’annonce du drame. Au dos du livre, l’éditeur parle « d’humour et de légèreté « . Ce frère-là est aussi un roman sans pitié.

Marianne Dubertret

 

Page des libraires, mars 2010

C’est jour de marché et au milieu des passants qui s’affairent se retrouvent les membres de la famille de la narratrice, pour l’enterrement de son frère. Le contraste choquant des étals, chargé d’odeurs de nourriture, et cette réunion funèbre amène Claire à une plongée dans ses souvenirs, ceux heureux qu’elle garde de ce frère dont elle a été si proche. Dans un désordre identique à celui des pensées qui s’enchaînent dans un esprit songeur, elle évoque des moments de leur enfance et de leur jeunesse. De ces instants a priori banals, familiers à chacun, surgit une violence sourde, celle des vieux conflits familiaux englués dans la mélasse des non-dits. Chaque chapitre nous entraîne sur le ton de la confidence dans un souvenir précis, daté et relié à un lieu, où Claire s’adresse à ce frère qu’elle aimait tant, jusqu’au jour ensoleillé où il lui confie qu’il est menacé par la maladie. Un récit pudique, souvent troublant, qui évoque les renoncements amoureux et les hasards de nos vies.

Pierra Dupuy

Librairie Lucioles, Vienne

 

La Marseillaise, 11 avril 2010

Secrets de famille

De quel frère est-il vraiment question dans le roman d’Anne-Constance Vigier ? Celui qui vient de mourir, d’une maladie qui l’a emporté en trois mois, Jean-Marc de son prénom ? Ou d’un autre, Jean, avec lequel il jouait de la guitare quand ils étaient jeunes et encore proches ? Sans compter Etienne, l’aîné, et Michel, l’ours tendre qui fait régulièrement des séjours en hôpital psy ? Et le peintre Ostende qui fait juste une apparition dans ce livre, tel un fantôme, ou une vigie.

 

Claire, la narratrice, est la seule fille de la tribu, et les femmes dans ce livre, même lorsqu’elles prennent la parole, sont à contre-jour, tant les hommes occupent le devant de la scène, depuis le couple des parents, un père homme de théâtre qu’Antoine Vitez honore à son enterrement, et une mère critique à l’égard de sa fille, amoureuse inéluctablement du genre masculin, quels que soient ses défauts et ses mensonges.

 

Anne-Constance Vigier ne remet pas en cause cette inégalité-là, elle en nourrit son livre, entre admiration et déception, que Claire conjugue tour à tour, dépositaire de la biographie familiale, sans se rendre compte que c’est un poids trop lourd à porter, trop injuste.

 

Alors « ce frère-là  » marié, père de famille, trois fils évidemment, ce Jean auquel tout le monde veut faire plaisir, que représenta-t-il pour la jeune Claire ? L’amant idéal, l’homme de sa vie, la réussite professionnelle et sentimentale ? On ne le saura pas, car l’amour éperdu que Claire voue à son frère, elle n’est pas la seule à l’éprouver, et l’autre Jean au prénom double (Jean-Marc), le mort, est en quelque sorte le jumeau de Claire. Un jumeau dévoré par la comparaison avec l’autre Jean. Le premier séduit, convainc, construit, le deuxième échoue, même dans son mariage, même dans sa paternité qui lui est interdite.

 

Et pourtant l’artiste, le créateur, c’est lui, le tendre, le généreux, c’est lui. Mais personne ne l’a connu ni reconnu, le livre est un hommage posthume, l’aveu tardif d’un amour. De ce déséquilibre, témoigne la construction du livre, funambule sur un fil parfaitement tendu, quinze chapitres pour quinze « scènes », entre 2005 (l’enterrement) et 1972 (un déjeuner de famille du vivant du père). Quinze apparitions, dans le désordre, comme on sortirait les photographies d’une malle dans un grenier. Des flashes pour tenter d’entrevoir la vérité qui reste obscure, mais les secrets de famille nourrissent les fictions, et les fictions savent beaucoup de choses.

 

Claudine Galea

La réconciliation : dans la presse

Livres hebdo, 6 juin 2008

Le face-à-face tendu entre une fille quadragénaire et son père à l’occasion de retrouvailles forcées. Un troisième roman plein d’ironie d’Anne-Constance Vigier.

La narratrice, la quarantaine, traductrice, accepte d’héberger pour quelques jours son père qu’elle évite depuis vingt ans, le temps qu’il passe des examens médicaux dans l’hôpital en face duquel sa fille habite. Seule – ses jumeaux de 15 ans et demi sont en vacances en Afrique (adolescents hors champ croqués avec une redoutable justesse) – , vivant séparée de leur père, elle appréhende l’inévitable face-à-face avec ce géniteur violent et castrateur qui ne lui évoque que des souvenirs pénibles. Elle va pourtant s’acquitter de la corvée. A contrecoeur. “Le seul fait d’être obligée de penser un peu longtemps à mon père m’enfonçait dans la contrariété, enfonçait ma tête sous la surface douteuse et immense de la contrariété.” Que dire quand il s’agit de l’accompagner à ses rendez-vous chez le cancérologue, de visiter le musée de l’Armée pour lui faire plaisir, de partager des repas aux conversations toutes potentiellement minées. La narratrice se révèle experte en stratégies d’évitement (du contact physique, des sujets qui fâchent) pour dominer la peur muée en hostilité qu’elle ressent face à ce père “au regard accusateur et perpétuellement déçu” , à “l’ironie si caractéristique, meurtrière, et dépourvue de toute tendresse” .

Moins troublant et fatal qu’Entre mes mains, paru l’année dernière après Le secret du peintre Ostende (Gallimard, 2001), plus léger, ce troisième roman prend un malin plaisir à titiller, avec causticité, ces sentiments dérangeants qu’on éprouve tout en ayant honte de les éprouver (peut-on en vouloir à ses parents au point de souhaiter leur mort ?), les rancoeurs planquées dans les recoins un peu marécageux de la conscience – le désir de vengeance, le manque de compassion, l’égoïsme – que l’on dépense beaucoup d’énergie à contenir. Il y a malgré tout un effet comique certain à observer cette femme adulte agir contre ses intérêts, ravaler, dire le contraire de ce qu’elle pense. Et se trouver admirable de maîtrise dans ces confrontations frustrées. Pauvre fille empêtrée dans ses devoirs qui n’ose même pas avouer au père de ses enfants qu’elle ne veut pas venir à sa fête d’anniversaire.(“Je n’irai pas et je vais le lui dire tout de suite. Au lieu de quoi je demandai : c’est quand ?”), à l’écrivain guatémaltèque, dont elle est en train de traduire le livre, qu’il cesse de l’accabler de mails…

A l’heure où l’angoisse de la mort étreint le père dominateur, lion devenu vieux (comme dans la fable de La Fontaine placée en exergue), voilà la narratrice confrontée au dilemne de la dette et de la prescription, passant par toutes les étapes de “La réconciliation”. Mais ces retrouvailles n’auront rien de mélo : la mièvrerie, ce n’est pas vraiment le genre de la maison Vigier.

Véronique Rossignol

Le Monde des Livres, 28 août 2008

Le retour du tyran déchu

Des blessures familiales, Anne-Constance Vigier a l’art de tirer des récits percutants et caustiques. Comme Entre mes mains (éd. Joëlle Losfeld, 2007), son troisième roman, La Réconciliation, repose sur une efficace dramaturgie. Une action simple : comment la narratrice supportera-t-elle la brève intrusion dans sa vie d’un père tyrannique, longtemps tenu à distance ? Unité de temps et de lieu : l’appartement modeste et l’hôpital d’en face, où se déroule une semaine d’analyses médicales et d’examen de conscience. Exposition et dénouement, « quinze jours avant », « dix jours après ».

La narratrice est mère d’Antoine et d’Alice, des jumeaux de 15 ans, énergiques et rassurants : « Je leur suis à chaque instant éperdument reconnaissante d’exister et de me côtoyer chaque jour de cette façon. » Leur humour pince-sans-rire (ils interprètent « Mozart à l’envers » en disposant leurs partitions tête en bas) engendre plus d’harmonie que de cacophonie – une connivence dont leur mère n’est pas exclue. Mais les jumeaux partent en vacances (un stage au Sénégal), la laissant seule à la merci de son père.

Même radouci par l’épreuve de la maladie, le père reste le tyran qui a terrorisé son entourage. Lors d’une visite au Musée de l’armée, il se montre toujours aussi péremptoire, réprobateur. Sa fille, avec sa sérénité d’adulte, essaie de le comprendre, au moins un peu, en évoquant sa naissance difficile. « En fait, me racontait ma grand-mère qui avait un sens aigu de la manipulation théâtrale, quand il est né, il était mort. Et je ne pouvais pas toujours m’empêcher de me demander s’il n’aurait pas été préférable qu’il le soit vraiment. »

Comment ne pas se sentir tenu à plus de compassion devant cet homme désemparé, en proie à l’angoisse de la mort ? Il ressemble au « Lion devenu vieux » de la fable de La Fontaine citée en exergue : « Le malheureux Lion, languissant, triste et morne,/ Peut à peine rugir, par l’âge estropié. » Il débite désormais sans conviction ses diatribes, « comme un texte appris par coeur, détesté ». Mais le fauve amoindri reste dangereux, capable encore de blesser par des mots – « végéter », « médiocre » -, que la narratrice ressent « comme des coups ».

Le récit pourrait être irrespirable, il est presque constamment ironique et drôle. En contrepoint de la visite paternelle, les évocations cocasses de Gregorio Duque Clavel (Guatelamala 1960), dont la narratrice traduit un livre, et qui l’accable d’interminables messages. « Je me souvins alors que tout était ma faute, si je ne lui avais pas écrit une première fois sous le prétexte de lui demander des éclaircissements sur certains termes empruntés à l’une des vingt-huit langues mayas encore en circulation au Guatemala, nous n’en serions pas là. »

La réconciliation ? Le mot « réconcilier » n’apparaît qu’une fois dans le roman, à propos d’un carrelage aux couleurs « incompatibles ». Règlement de comptes serait peut-être aussi approprié, en ce qui concerne le père, ce tyran déchu. Mais réconciliation avec soi-même, apaisement pour la narratrice qui retrouve avec bonheur ses jumeaux narquois. « Mon père qui a tout fait pour m’empêcher de vivre n’y est peut-être pas tout à fait parvenu. »

Monique Petillon

Libération, 28 août 2008

Pourquoi le Bénin

Famille. Une fille hait son père, selon Anne-Constance Vigier.

Un mot caractérise bien l’état d’esprit des personnages d’Anne-Constance Vigier : « le désagrément ». L’ennui d’avoir épousé un mari violoniste pourrissait la vie de l’héroïne exaspérée d’Entre mes mains, pour la plus grande joie des lecteurs. Un humour inénarrable agite l’écriture de la Réconciliation, sans excès, sans aller jusqu’à la ratiocination des grands monologues obsessionnels.

Une femme divorcée, seule avec ses jumeaux qui viennent de partir pour le lycée. Malgré linge et vaisselle sales, il lui faudrait se mettre sans tarder à la traduction qu’on lui a confiée, un livre de « Gregorio Duque Clavel (Guatemala, 1960) », écrivain inconnu de Google. Elle campe dans la salle de séjour, ne disposant pas de la « chambre à soi » que « préconisait Virginia Woolf avec une insouciance, un manque de prise en considération des contingences matérielles qui m’indignait de plus en plus ».

La journée commençant mal, elle attend « le prochain désagrément ». Ce sera un coup de téléphone. Sa mère lui demande d’accueillir son père une semaine, le temps qu’il consulte le Pr Bronski, cancérologue, à l’hôpital qui se trouve sous ses fenêtres. Ce père est l’homme qu’elle hait le plus au monde.

Ce n’est pas qu’Anne-Constance Vigier tente de nous distraire en se moquant de l’hôpital et de la charité, mais les détails incongrus se rangent sous sa plume comme de la limaille. La « petite biopsie » demandée par le médecin provoque un aparté sur les adjectifs infantilisants. « Je ne savais pas qu’il existait de petites biopsies. »

Versatile, changeant constamment d’avis au sein d’une même phrase, la narratrice affronte donc son père. On recommande une scène de dégustation d’huîtres, qui se termine par : « Bénin, répéta-t-il d’un air songeur. Tiens, tu t’es déjà demandé pourquoi le Bénin s’appelle le Bénin ? » La maladie, possible, envisagée, empêchera-t-elle la réconciliation annoncée par le titre, et qui ne désigne pas autre chose que le droit à oublier l’ennemi ?

Claire Devarrieux

Libération.fr depuis le 17 septembre 2008

L’auteur lit quelques pages du livre sur Libélabo

Les Inrockuptibles, 9 septembre 2008

Un court roman étincelant autour de la réconciliation – avec soi, d’abord, pour mieux évacuer ses terreurs enfantines.

L’année dernière, Anne-Constance Vigier signait, avec Entre mes mains, un livre très fort sur un infanticide, un roman à la fois sensible et d’un désespoir grinçant, jamais voyeur ou dénonciateur, d’une femme censément étrangère au genre humain. Surtout, le deuxième roman d’Anne-Constance Vigier sortait grandi de la comparaison avec un autre livre paru au même moment sur un thème identique, étranger, lui, à la notion de nuance ou de subtilité, et signé Mazarine Pingeot. Mais La Réconciliation apporte la prevue qu’Anne-Constance Vigier, prof de maths de 38 ans, n’a besoin d’aucune comparaison pour imposer son talent, qui tient à cet art du ténu qu’elle maîtrise à la perfection. Au fond, il ne passe quasiment rien dans ce court roman : une femme divorcée, mère de deux jumeaux adolescents, et obligée d’accueillir son père, ex-tyran de son enfance, pour une semaine dans son appartement, situé face à un hôpital où il doit subir une batterie d’examens. Elle a beau haïr cet homme, s’être tenue le plus loin possible de lui tout au long de sa vie d’adulte, elle ne peut pas refuser. Après tout, il a peut-être un cancer. Le huis-clos – les enfants sont en vacances – est étouffant, mais ne débouchera ni sur une confrontation violente ni sur une « réconciliation » entre père et fille ; Anne-Constance Vigier est bien trop fine pour ça. Tout se passe dans la tête de la narratrice, voix drôle et ratiocineuse, désespérément agrippée à l’équilibre précaire sur lequel repose son existence, un peu paumée, quelque part entre sa haine d’enfant pour le dictateur paternel et sa pitié d’adulte pour ce vieux lion qui a gardé ses tics verbaux de despote mais perdu de sa terrifiante superbe. Ce qu’il a fait pour s’aliéner autant sa fille, on ne le devine qu’au detour de quelques phrases. Ça n’est pas le sujet de ce roman ironique, drôle et enlevé, qui décrit une « réconciliation » avec soi-même. La paix, ici, ne se signe pas avec l’ennemi – c’est impossible, bêtement moralisateur – mais avec ses peurs. Il ne s’agit pas de pardonner mais d’essayer d’oublier, de refuser de continuer, une fois sa vie faite, de laisser gâcher chaque parcelle de bonheur par l’ombre de ses terreurs enfantines.

Raphaëlle Leyris

Entre mes mains : dans la presse

Livres hebdo, 1er juin 2007

Une histoire simple

Deuxième roman d’Anne-Constance Vigier, Entre mes mains séduit et dérange à la fois.

Dense et prenant, le premier roman d’Anne-Constance Vigier, Le secret du peintre Ostende (Gallimard, collection Haute Enfance, 2001), laissait présager d’un bel avenir littéraire. Cette professeure de mathématiques née en 1970 passe aujourd’hui brillamment le cap réputé difficile du deuxième roman avec Entre mes mains à paraître à la rentrée littéraire chez Joölle Losfeld. Son héroïne part en week-end avec le beau Sylvain Bommier, un musicien qui enseigne le violon –  » le problème du violon, c’est qu’il ne sait que se plaindre « , nous prévient la narratrice.

La jeune femme a attendu d’avoir vingt-trois ans pour connaître sa première expérience sexuelle, laquelle va se révéler un fiasco. Mademoiselle porte des lunettes, a des mains filiformes, le nez retroussé et une sœur chérie équipée d’un mari et d’enfants. Mathématicienne, elle travaille sur  » des données très sensibles «  nécessitant l’obtention d’une habilitation  » Secret Défense/Sécurité Chiffre « .

Anne-Constance Vigier nous fait suivre les différentes phases de son évolution. La voici qui emménage à Asnières avec Sylvain, dans un appartement en rez-de-chaussée pas trop loin de son employeur, dans la zone industrielle de Gennevilliers  » qui n’inspirait confiance à personne « . Puis se marie à l’église pour faire plaisir à sa famille, devenant par la même occasion madame Bommier, avant de tomber enceinte.

Tout semble idyllique et simple, bien comme il faut ? Pas si sûr puisque nous sommes en présence d’une angoissée, qui regarde le monde avec crainte et appréhension.

Le roman d’Anne-Constance Vigier séduit, intrigue, puis dérange. Implacable mécanique particulièrement tenue, Entre mes mains finit par glacer le lecteur qui repose le volume, estomaqué.

Alexandre Fillon

 

Le Monde des Livres, 23 août 2007

Autopsie d’un désastre

Un roman brillant et glaçant de la mathématicienne Anne-Constance Vigier

D’un côté, le souvenir de la « belle voix moustachue » de Brassens, de l’autre, l’ « option Bartok » . Car la narratrice, qu’on devine en prison, se remémore, en dix  » phases  » les étapes qui l’ont menée au désastre. Et parmi elles, l’amour excessif de son musicien de mari, Sylvain, pour les quatuors de Bartok, où elle n’entend elle-même que sons inhumains, destructeurs.  » Il m’est arrivé bien plus tard de me dire que Bartok n’était pas étranger à tout ce qui est advenu par la suite, qu’il avait joué son rôle, insidieux, sournois, mais je n’ai naturellement pas été capable d’évoquer cet élément devant mes interlocuteurs successifs. Car j’ai tout de même un tout petit peu le sens du ridicule.  »

Excellente mathématicienne, la narratrice conçoit des algorithmes qui servent à crypter et décrypter les messages transmis par l’armée. Habituée à travailler sur des  » données très sensibles  » , elle analyse avec une ironie cinglante les frustrations et les déceptions de sa vie affective. Avec Sylvain, une première nuit dans une chambre d’hôte, qui tient du  » fiasco  » ; l’installation dans un sinistre rez-de-chaussée à Asnières ; un mariage suivi d’un voyage de noces particulièrement déprimant en Bulgarie ; un nom auquel elle ne s’habitue pas – Mme Bommier – et bientôt un désir d’enfant.

Rien à attendre des parents, notamment d’une mère autoritaire qui ne s’intéresse plus qu’au feuilleton télévisé  » Les Feux de l’amour « . Ni des collègues de travail, prêts à s’emparer de son étude en cours. Trop à attendre d’une sœur adorée et idéalisée, incarnant la légèreté, l’insouciance, la vie de famille accomplie.  » Elle les jambes, toi la tête, disait mon grand-père. Peut-être sans vraiment penser à mal, pensais-je quand je me souvenais combien je souffrais, chaque fois, d’entendre cette phrase (cette phrase et un certain nombre d’autres phrases tout à fait comparables). »

Peur panique du retour
Tandis qu’elle voit son corps se transformer, et qu’elle se sent évincée de son travail, la narratrice porte un regard plus froid sur son égoïste mari, à peine un  » tâcheron de la musique » . L’éloignement de sa sœur, partie vivre au Canada, accentue la solitude de la jeune femme qui revit, dans les  » phases  » suivantes, sa grossesse, son accouchement, et la peur panique du retour :  » Le danger, c’est plutôt d’avoir à retourner ensemble dans le monde.  »

La tension créée par les pleurs constants de l’enfant, l’étrange puits que constitue une salle de bains aménagée dans une cave : tous les éléments d’un drame sont en place. Dans ce deuxième roman, très maîtrisé, brillant et glaçant d’Anne-Constance Vigier (elle-même mathématicienne), on croit reconnaître les protagonistes d’un faits divers qui surprit et choqua l’opinion. La romancière nous fait partager le point de vue de la narratrice, de l’humour à l’angoisse. Et réussit la prouesse, par d’infimes notations, d’inviter à d’autres lectures, de projeter l’ombre d’un doute.

Monique Petillon

 

Libération, 30 août 2007

Domicile conjugal

Le prologue annonce la couleur: cette histoire finira mal, à savoir en prison pour meurtre. Comme la narratrice passe tout le livre à s’exaspérer contre son mari, il y aurait quelque vraisemblance à ce qu’elle le tue, à l’instar de sa voisine de cellule. D’un autre côté, les pieds de bébé photographiés en ouverture font craindre pire encore. Mais peu importe. Ce roman est réjouissant par l’humeur qui le porte, plutôt que par son possible dénouement. Réparti en dix « Phases » comme autant de phases de haine, c’est le chemin de croix d’une jeune femme peu à peu détournée de son métier adoré (ingénieur, mathématicienne, elle conçoit des algorithmes) par le mariage puis la maternité. Un bel homme, et un musicien: elle tombe, a priori, sur le partenaire qu’elle souhaitait. Elle n’avait pas prévu que l’amour serait brutal, que l’appartement serait exigu, et que le violon la rendrait folle, spécialement Bartók, le compositeur préféré de cet individu dont elle partage l’existence et le lit. Il se plaint de gâcher son talent auprès d’élèves médiocres, « et je le regardais alors en silence tandis que je sentais se modifier de façon irréversible mon opinion sur son talent, un technicien moyen, un tâcheron de la musique, pensais-je les jours où je manquais tout à fait d’indulgence. » Les apparences sont sauves, la conjugalité suit son cours, noces, voyage, repas, déco, nausées, échographie, accouchement. La drôlerie vient de ce que cette banale vie quotidienne nous parvient filtrée par cette voix inimitable, amère, sarcastique, injuste et cependant légère.

Claire Devarrieux

 

Elle, 3 septembre 2007

Ultramoderne solitude

Un couple sur l’autoroute à l’issue de leur premier week-end à deux. Sait-il qu’elle a attendu d’avoir 23 ans pour vivre sa première expérience sexuelle, et que ce qui s’est passé s’est avéré à « l’opposé de l’idée qu’elle se faisait du désir » ? Pour chasser l’inquiétant silence qui s’installe, elle glisse une cassette de Brassens dans l’autoradio. Il lui demande de mettre Bartók. Une musique « inhumaine, destructrice » qu’elle déteste. « Il m’est arrivé bien plus tard de me dire que Bartók n’était pas étranger à tout ce qui est arrivé par la suite », s’avoue-t-elle. La suite ? Le parcours conventionnel d’un violoniste et d’une mathématicienne qui n’ont rien en commun, sinon l’ambition, bien contemporaine, de mener une vie qui fasse surtout envie aux autres. Moins le bonheur vécu que sa mise en scène. Quand la narratrice accouche d’une petite fille, le rideau social se déchire ; l’enfant la plonge dans une spirale de violences qu’elle ne peut refouler. L’infanticide : un thème à haut risque qui peut prêter aux complaisances du fait-divers romancé. On en est heureusement très loin avec ce beau deuxième roman, d’une surprenante liberté de ton – ironique et poignant, acide et pudique -, écrit au coeur du vertige intérieur de l’héroïne. Anne-Constance Vigier ose affirmer que ce vertige n’est pas « une folie de femme ». Plutôt le fruit des malentendus entre les êtres, du désamour qui mutile, d’une moderne solitude…

Elisabeth Barillé

 

Les Inrockuptibles, 11 septembre 2007

Au revoir les enfants

Deux romans s’inspirent de faits divers autour d’INFANTICIDES : celui d’une inconnue, réussi, et celui de l’inévitable Mazarine Pingeot, ridicule.

(…) Dans la catégorie « romans tirés de faits divers à tendance infanticide », on trouve, en cette rentrée, bien plus brillant, sensible et troublant. On entendra sans doute beaucoup moins parler, sans doute parce que l’auteur d’Entre mes mains n’est pas « fille de »… L’intrigue de ce deuxième roman d’Anne-Constance Vigier rappelle l’histoire du petit Lubin, ce bébé mort des mauvais traitements infligés par l’un de ses parents – seule sa génitrice a été condamnée. Là aussi, c’est la mère qui raconte, depuis sa prison. Dans le fond, Entre mes mains raconte, comme voudrait le faire Le cimetière des poupées, l’histoire d’un couple si mal assorti, d’un amour si malade qu’il ne pouvait en sortir qu’une catastrophe. Sauf que chez Vigier, c’est toujours désespérément drôle et grinçant, sans que cela enlève quoi que ce soit au drame. Là où Mazarine Pingeot a pondu une sorte d’ »Infanticide pour les nuls, causes et conséquences », Anne-Constance Vigier a écrit un roman fort, dans lequel elle touche du doigt un basculement. Qui pourrait arriver à n’importe qui.

Raphaëlle Leyris

Le Nouvel Observateur, 27 septembre 2007

Comme l’auteur, l’héroïne est une mathématicienne. Son mari, un violoniste, lui casse la tête avec les quatuors de Bartok. Naît un bébé. Les pleurs des gniards, parfois, ça vous scie les nerfs. On sent que tout ceci va se terminer dans la rubrique des faits-divers. Crescendo dramatique jusqu’au moment où un filet de sang coule de l’oreille du nouveau-né. Un accident, un raptus aberrant de la maman ? Dans ce long monologue distancié, en dix stations suspendues, Anne-Constance Vigier installe un cauchemar suffocant digne de Rosemary’s Baby.

Patrice Delbourg

Le Matricule des Anges, septembre 2007

Construit comme une tragédie, le récit d’Anne-Constance Vigier nous transporte dans les méandres d’un esprit en mal d’humanité.

Dans ce deuxième ouvrage d’Anne-Constance Vigier réapparaît la figure de son double aperçu dans Le Secret du peintre Ostende, une jeune mathématicienne à la fois personnage principal et narratrice. Voilà deux êtres que tout sépare : elle aime Brassens, il adore Bartók. Elle est une spécialiste reconnue, une surdouée de 23 ans qui crypte et décrypte des messages pour l’armée, il est un piètre musicien. Ecartelée entre l’envie d’être comme les autres et le besoin irrépressible de les fuir, elle finit par échouer dans une vie grise et sans espoir. Du fond de sa cellule elle ouvre les pages d’une histoire banale à l’issue tragique. Dix Phases découpent ce récit rétrospectif, dont le dénouement, divisé en 9 scènes, égrène les derniers moments et les actions des principaux personnages. Ces brefs tableaux tracent le parcours géographique d’une forme d’aliénation sociale : bureau, église, maison… Transposées et distordues, les affinités entre les règles qui codifient le théâtre classique et celles qui structurent le monologue intérieur d’Entre mes mains restent prégnantes. Ici chaque Phase circonscrit une action, un lieu, dans un temps donné. Chiffrées (Phase 1, Phase 2…), elles marquent froidement l’évolution de l’angoisse maladive qui ronge celle qui ne connaît que l’univers secret des algorithmes. L’auteur a conçu chaque étape comme un huis clos. Un espace qui se ferme définitivement avant la Phase suivante. Dans ce monde sans mémoire, comment avancer, comme s’imaginer dans une lignée, s’inscrire soi-même comme un relais ?

Voilà l’héroïne  » enveloppée dans une gangue de terreur qui durcissait à l’air et semblait également rétrécir « , dont les racines marinent sans aucun doute  » dans la petite pièce au fond du couloir et hop, toutes les portes fermées.  » Ce traumatisme initial semble avoir créé un être hybride. La narratrice s’est fabriqué un personnage social, soumis à une famille égoïste,  » leur regard perplexe et contrarié de toujours « , à un époux inexistant, des êtres vides et sans humanité. Le journal nous place au coeur de la lutte permanente qu’elle mène pour que ne rompe pas la digue savamment construite. L’auteur travaille une écriture radiographique à même de rendre une vision clinique qui défait le monde de toute sensualité,  » Sa main chaude sur ma nuque. Les os de ses phalanges.  » Aux portes de l’église elle ne voit que boue et fientes d’oiseaux. Une auscultation permanente de ce qui l’entoure maintient la distance, écarte croit-elle le danger de la rencontre.

Quand le couple emménage, elle n’a d’yeux que pour ces  » petits Noirs qui s’agrippaient aux barreaux en écarquillant les yeux. La peau sèche de leurs mains sur le métal rouillé.  » La salle de bains située en lieu et place de la cave,  » un puits où se blottir « , incarne le rêve impossible du retour in utero. La naissance de l’enfant vécue dans la solitude d’une chambre d’hôpital sonne l’hallali. Au piège psychique qui se resserre inexorablement succède l’enfermement physique dans l’étroit appartement. Anne-Constance Vigier a construit son ouvrage comme on déboîte des poupées russes : une architecture qui se défait, jusqu’à l’infiniment petit. Une structure qui rend encore plus troublante cette écriture intimiste, qui sonde les profondeurs de l’âme, jusqu’à atteindre ces endroits que l’on refuse de voir.

Le processus dramatique du récit et le rétrécissement de l’espace réduisent en un instant les quelques mois qui séparent la Phase 1 de la Phase 10. Dans une langue en roue libre sans prise sur le réel, où se mêlent, indistincts, les événements et les dialogues, le monde se morcelle. La voix intérieure comprime et déforme les sons extérieurs,  » sons inhumains, destructeurs « , dans son espace déviant échouent les autres voix, noyées dans un magma de chair et de bruits. Une logorrhée à la mécanique étouffante, à la marche destructrice, étau implacable où plus rien ne respire. On ne lâche pas Entre mes mains, et on le porte, une fois fini, comme un fardeau.

Virginie Mailles Viard

DS Magazine, septembre 2007

La narratrice est prof de math (sic). La rigueur de la discipline enseignée n’a guère d’effet sur une existence qui se cherche des repères. Ils se dessinent avec la rencontre de Sylvain, un musicien avec un net penchant pour Bartok, l’installation, l’arrivée du bébé… La norme rassure. Mais elle a ses revers. Elle étouffe. Caustique, l’écriture décape la banalité et, mine de rien, ça tourne affreusement mal.

Psychologies Magazine, octobre 2007

Elle est mathématicienne, lui est musicien. Ils se rencontrent, se marient, elle tombe enceinte…

Une jolie histoire banale, pourrait-on penser. Mais très vite, on comprend que, lors de l’arrivée du bébé, la jeune femme bascule progressivement dans l’irrémédiable, dans l’inexplicable. Le bébé pleure trop souvent et l’univers de la nouvelle maman se fissure. Brillant et dérangeant.

Le Figaro Littéraire, 29 novembre 2007

Certaines mères ne sont pas des cadeaux… mais font d’excellents personnages de roman. Avec Entre mes mains, Anne-Constance Vigier, professeur de mathématiques, livre le journal d’une femme déçue. Celui d’une Bovary qui se languit du département de cryptologie militaire où elle vivait comme un poisson dans l’eau. Son rêve d’un vie de couple a rapidement tourné au cauchemar, lui laissant le sentiment de se débattre toute seule avec « avec des mouvements ridicules sous un voile ou un filet tombé d’on ne sait où ». Ce second roman consacré à l’infanticide rend paradoxalement attachant le malaise de cette marâtre. La belle porte sur le monde entier, son enfant compris, le même regard mécanique. Déjà passionnée, elle fredonnait pendant sa lune de miel : « Il est des jours où Cupidon s’en fout. » Quoique moins rêveuse qu’Emma Bovary, elle sera précipitée dans une même descente aux enfers.

A.S.

La Marseillaise, 2 décembre 2007

NOIR.  » Entre mes mains  » raconte la disparition d’une petite fille en un bref récit glacé.

Une logique meurtrière.

C’est un récit très découpé et sans pathos. Son originalité tient au style presque clinique de Anne-Constance Vigier qui fait basculer une histoire assez banale dans une atmosphère aux confins du fantastique. Pour exemple, les chapitres sont considérés comme les étapes d’un calcul complexe et intitulés  » Phases « . Il y a dix phases dans cette histoire de disparition – désagrégation serait peut-être une mot plus approprié – d’un enfant. On peut aussi les lire comme les stations d’un calvaire.

Celle qui raconte, c’est la mère, une jeune mathématicienne qui réussit dans son domaine, mais échoue dans le cercle des relations affectives et familiales. Comme exclue du monde sensible, elle en devient presque borderline. L’enfance était un cauchemar, le mariage avec un violoniste obsédé par Bartok ressemble à une hallucination. L’appartement est une prison, tirée d’un roman de Kafka. A-t-on idée de mettre une salle de bains dans une cave ?

Anne-Constance Vigier décrit la lente descente aux enfers d’une femme qui n’a pas de prise sur la réalité.

Ce n’est pas un roman psychologique, ce n’est pas un roman réaliste, ce n’est pas une autofiction, c’est un thriller mental où tout est pensé, construit et aménagé dans une logique meurtrière.

Claudine Galea

La Revue Littéraire, Hiver 2008

« Un des enfants : Hélas ! Que faire ?
Où fuir les mains d’une mère ? »
Euripide, Médée

Force est de constater que la dernière rentrée littéraire s’est entêtée à lever un tabou. Et un tabou des plus tenaces, celui qui peut-être démange le plus nos peaux baignées de judéo-christianisme, celui qui peut-être aveugle le plus nos regard repus de Madone à l’enfant, picturales, scupturales mais aussi médiatiques et publicitaires : on jubile quand Estelle Lefébure enfouit son visage à l’ovale parfait dans les plis grassouillets de son bébé en nous expliquant les bienfaits d’un lait pour le corps, on applaudit et on soupire de soulagement lorsque les donzelles les plus délurées d’hier se rangent des voitures et pérorent sur les couvertures des tabloids au « volant » de leur poussette. On les absout alors : C’est donc pour ça, les excès, les folies ! La fin justifie les moyens.

Pourtant, cet automne, dans ce climat de glorification béate de la maternité, des femmes, parfois mères, notamment Mazarine Pingeot et Anne-Constance Vigier, ont choisi de parler de ça : l’innommable, l’indicible : l’infanticide. Dans quelles circonstances le fameux instinct maternel ne s’enclenche-t-il pas ?

La fascination que ce crime entraîne n’est pas nouvelle, de Médée à Christine Villemin et Véronique Courjault en passant par Catherine de Médicis, les mythes, et les faits divers qui en deviennent, se nourrissent de nos peurs viscérales, profondément enfouies et tues : J’ai été une victime potentielle de la folie meurtrière d’une mère, de son pouvoir absolu et presque absurde de vie et de mort sur moi.

Autre variante, plus effroyable encore : Je suis potentiellement capable de folie meurtrière, je détiens le pouvoir absolu de vie et de mort sur un être qui dépend entièrement de moi.

Le roman d’Anne-Constance Vigier prend des allures de tragédie antique. Une sorte de prologue nous annonce une terrible fin dès la première page, il ne nous reste plus qu’à remonter le cours inexorable des dix « phases » que ce livre propose.

Ce faisant, notre lecture première se dédouble en décryptage des signes annonciateurs du drame et de ce fait, à chaque page, on soupçonne, on épie, et, à l’instar de la narratrice, jamais on ne se laisse emporter par l’émotion que devrait, normalement, procurer son état, notre état.

En effet, le moteur de l’auto cale et voilà le beau Sylvain qui dérape verbalement et effraye sa fiancée. Sera-t-il à la hauteur ? Et que dire de cette union des chairs qui tourne au fiasco désolant et qui fait scientifiquement prévoir à la narratrice que tout rentrera dans l’ordre puisqu’ »il est généralement admis que les corps se font les uns aux autres ».

Et ainsi, un à un, on égrène avec ce personnage, au son de sa voix intérieure, les caillots qui s’immiscent dans cette « machine infernale », au cours des dix phases qui sont autant de stades évolutifs débilitants, autant de stations qui nous mènent au calvaire final. Des morceaux imposés, des passages obligés, sortes de « tableaux » qui scandent la vie d’une femme : emménagement dans le domicile conjugal, mariage, lecture du test de grossesse, première échographie…

On refait donc avec la narratrice l’itinéraire circulaire qui nous mène du drame au drame dans une indétermination verbale qui rejette en bloc toute distinction, toute discrimination entre actes et discours, entre discours et pensées, entre discours propres et discours de l’Autre, et entre discours présents et rétrospectives. Il en résulte une impression de flottement qui ne laisse rien présager de bon, une contamination de l’être par son environnement qui le fragilise, l’empêche de délimiter ses propres contours, de s’affirmer y compris par le refus face à l’autre, face aux autres. S’ensuit un délitement de la personnalité du sujet qui conduit à l’hébétude finale :  » C’est arrivé et ce n’est pas arrivé. C’est moi et ce n’est pas moi. »

Anne Prigent

Le secret du peintre Ostende : dans la presse

Figaro Madame, septembre 2001

La première fois que la narratrice d’Anne-Constance Vigier a l’idée de venir visiter le vieux peintre Ostende, celui-ci la reçoit un fusil à la main, allant jusqu’à tirer un coup en l’air pour la faire fuir. La jeune femme n’est pas au mieux. Sa relation avec Xavier bat de l’aile. Sa bourse n’a pas été renouvelée mais son directeur de thèse lui a accordé une année supplémentaire pour rendre son travail. Ostende habite très simplement à la campagne avec son chien Balthus. Les draps de son lit sont troués par des brûlures de cigarette ou de pipe. Pis encore, Ostende mange des raviolis à même la boîte en guise de petit déjeuner. Pourtant, pas une seule de ses toiles (proches de celles de Goya) ne se vendrait à moins de cent mille francs. La jeune femme saute dans une guimbarde que son frère a consenti à lui prêter et retourne essayer de percer le mystère du peintre Ostende. “On éprouve toujours le besoin de commettre l’irréparable, me répétais- je aussi jusqu’à l’obsession mais il me fallait aussitôt corriger : ou de le laisser advenir.” Anne-Constance Vigier réussit un livre dense et prenant, une manière de voyage dans la tourmente des êtres.

Alexandre Fillon

Libération, 6 septembre 2001

La jeune fille, le peintre et la mort, le sujet est usé mais ce premier roman le ravive par une écriture impressionniste, toute en touches d’odeurs et d’automne, coin du feu, feuilles froissées, café froid car «depuis le début je n’avais su que collectionner dans le désordre des phrases inutiles, des allusions aux tableaux qui me plaisaient le plus et des citations qui se vidaient de leur sens en se rencontrant.»