Entre mes mains : dans la presse

Livres hebdo, 1er juin 2007

Une histoire simple

Deuxième roman d’Anne-Constance Vigier, Entre mes mains séduit et dérange à la fois.

Dense et prenant, le premier roman d’Anne-Constance Vigier, Le secret du peintre Ostende (Gallimard, collection Haute Enfance, 2001), laissait présager d’un bel avenir littéraire. Cette professeure de mathématiques née en 1970 passe aujourd’hui brillamment le cap réputé difficile du deuxième roman avec Entre mes mains à paraître à la rentrée littéraire chez Joölle Losfeld. Son héroïne part en week-end avec le beau Sylvain Bommier, un musicien qui enseigne le violon –  » le problème du violon, c’est qu’il ne sait que se plaindre « , nous prévient la narratrice.

La jeune femme a attendu d’avoir vingt-trois ans pour connaître sa première expérience sexuelle, laquelle va se révéler un fiasco. Mademoiselle porte des lunettes, a des mains filiformes, le nez retroussé et une sœur chérie équipée d’un mari et d’enfants. Mathématicienne, elle travaille sur  » des données très sensibles «  nécessitant l’obtention d’une habilitation  » Secret Défense/Sécurité Chiffre « .

Anne-Constance Vigier nous fait suivre les différentes phases de son évolution. La voici qui emménage à Asnières avec Sylvain, dans un appartement en rez-de-chaussée pas trop loin de son employeur, dans la zone industrielle de Gennevilliers  » qui n’inspirait confiance à personne « . Puis se marie à l’église pour faire plaisir à sa famille, devenant par la même occasion madame Bommier, avant de tomber enceinte.

Tout semble idyllique et simple, bien comme il faut ? Pas si sûr puisque nous sommes en présence d’une angoissée, qui regarde le monde avec crainte et appréhension.

Le roman d’Anne-Constance Vigier séduit, intrigue, puis dérange. Implacable mécanique particulièrement tenue, Entre mes mains finit par glacer le lecteur qui repose le volume, estomaqué.

Alexandre Fillon

 

Le Monde des Livres, 23 août 2007

Autopsie d’un désastre

Un roman brillant et glaçant de la mathématicienne Anne-Constance Vigier

D’un côté, le souvenir de la « belle voix moustachue » de Brassens, de l’autre, l’ « option Bartok » . Car la narratrice, qu’on devine en prison, se remémore, en dix  » phases  » les étapes qui l’ont menée au désastre. Et parmi elles, l’amour excessif de son musicien de mari, Sylvain, pour les quatuors de Bartok, où elle n’entend elle-même que sons inhumains, destructeurs.  » Il m’est arrivé bien plus tard de me dire que Bartok n’était pas étranger à tout ce qui est advenu par la suite, qu’il avait joué son rôle, insidieux, sournois, mais je n’ai naturellement pas été capable d’évoquer cet élément devant mes interlocuteurs successifs. Car j’ai tout de même un tout petit peu le sens du ridicule.  »

Excellente mathématicienne, la narratrice conçoit des algorithmes qui servent à crypter et décrypter les messages transmis par l’armée. Habituée à travailler sur des  » données très sensibles  » , elle analyse avec une ironie cinglante les frustrations et les déceptions de sa vie affective. Avec Sylvain, une première nuit dans une chambre d’hôte, qui tient du  » fiasco  » ; l’installation dans un sinistre rez-de-chaussée à Asnières ; un mariage suivi d’un voyage de noces particulièrement déprimant en Bulgarie ; un nom auquel elle ne s’habitue pas – Mme Bommier – et bientôt un désir d’enfant.

Rien à attendre des parents, notamment d’une mère autoritaire qui ne s’intéresse plus qu’au feuilleton télévisé  » Les Feux de l’amour « . Ni des collègues de travail, prêts à s’emparer de son étude en cours. Trop à attendre d’une sœur adorée et idéalisée, incarnant la légèreté, l’insouciance, la vie de famille accomplie.  » Elle les jambes, toi la tête, disait mon grand-père. Peut-être sans vraiment penser à mal, pensais-je quand je me souvenais combien je souffrais, chaque fois, d’entendre cette phrase (cette phrase et un certain nombre d’autres phrases tout à fait comparables). »

Peur panique du retour
Tandis qu’elle voit son corps se transformer, et qu’elle se sent évincée de son travail, la narratrice porte un regard plus froid sur son égoïste mari, à peine un  » tâcheron de la musique » . L’éloignement de sa sœur, partie vivre au Canada, accentue la solitude de la jeune femme qui revit, dans les  » phases  » suivantes, sa grossesse, son accouchement, et la peur panique du retour :  » Le danger, c’est plutôt d’avoir à retourner ensemble dans le monde.  »

La tension créée par les pleurs constants de l’enfant, l’étrange puits que constitue une salle de bains aménagée dans une cave : tous les éléments d’un drame sont en place. Dans ce deuxième roman, très maîtrisé, brillant et glaçant d’Anne-Constance Vigier (elle-même mathématicienne), on croit reconnaître les protagonistes d’un faits divers qui surprit et choqua l’opinion. La romancière nous fait partager le point de vue de la narratrice, de l’humour à l’angoisse. Et réussit la prouesse, par d’infimes notations, d’inviter à d’autres lectures, de projeter l’ombre d’un doute.

Monique Petillon

 

Libération, 30 août 2007

Domicile conjugal

Le prologue annonce la couleur: cette histoire finira mal, à savoir en prison pour meurtre. Comme la narratrice passe tout le livre à s’exaspérer contre son mari, il y aurait quelque vraisemblance à ce qu’elle le tue, à l’instar de sa voisine de cellule. D’un autre côté, les pieds de bébé photographiés en ouverture font craindre pire encore. Mais peu importe. Ce roman est réjouissant par l’humeur qui le porte, plutôt que par son possible dénouement. Réparti en dix « Phases » comme autant de phases de haine, c’est le chemin de croix d’une jeune femme peu à peu détournée de son métier adoré (ingénieur, mathématicienne, elle conçoit des algorithmes) par le mariage puis la maternité. Un bel homme, et un musicien: elle tombe, a priori, sur le partenaire qu’elle souhaitait. Elle n’avait pas prévu que l’amour serait brutal, que l’appartement serait exigu, et que le violon la rendrait folle, spécialement Bartók, le compositeur préféré de cet individu dont elle partage l’existence et le lit. Il se plaint de gâcher son talent auprès d’élèves médiocres, « et je le regardais alors en silence tandis que je sentais se modifier de façon irréversible mon opinion sur son talent, un technicien moyen, un tâcheron de la musique, pensais-je les jours où je manquais tout à fait d’indulgence. » Les apparences sont sauves, la conjugalité suit son cours, noces, voyage, repas, déco, nausées, échographie, accouchement. La drôlerie vient de ce que cette banale vie quotidienne nous parvient filtrée par cette voix inimitable, amère, sarcastique, injuste et cependant légère.

Claire Devarrieux

 

Elle, 3 septembre 2007

Ultramoderne solitude

Un couple sur l’autoroute à l’issue de leur premier week-end à deux. Sait-il qu’elle a attendu d’avoir 23 ans pour vivre sa première expérience sexuelle, et que ce qui s’est passé s’est avéré à « l’opposé de l’idée qu’elle se faisait du désir » ? Pour chasser l’inquiétant silence qui s’installe, elle glisse une cassette de Brassens dans l’autoradio. Il lui demande de mettre Bartók. Une musique « inhumaine, destructrice » qu’elle déteste. « Il m’est arrivé bien plus tard de me dire que Bartók n’était pas étranger à tout ce qui est arrivé par la suite », s’avoue-t-elle. La suite ? Le parcours conventionnel d’un violoniste et d’une mathématicienne qui n’ont rien en commun, sinon l’ambition, bien contemporaine, de mener une vie qui fasse surtout envie aux autres. Moins le bonheur vécu que sa mise en scène. Quand la narratrice accouche d’une petite fille, le rideau social se déchire ; l’enfant la plonge dans une spirale de violences qu’elle ne peut refouler. L’infanticide : un thème à haut risque qui peut prêter aux complaisances du fait-divers romancé. On en est heureusement très loin avec ce beau deuxième roman, d’une surprenante liberté de ton – ironique et poignant, acide et pudique -, écrit au coeur du vertige intérieur de l’héroïne. Anne-Constance Vigier ose affirmer que ce vertige n’est pas « une folie de femme ». Plutôt le fruit des malentendus entre les êtres, du désamour qui mutile, d’une moderne solitude…

Elisabeth Barillé

 

Les Inrockuptibles, 11 septembre 2007

Au revoir les enfants

Deux romans s’inspirent de faits divers autour d’INFANTICIDES : celui d’une inconnue, réussi, et celui de l’inévitable Mazarine Pingeot, ridicule.

(…) Dans la catégorie « romans tirés de faits divers à tendance infanticide », on trouve, en cette rentrée, bien plus brillant, sensible et troublant. On entendra sans doute beaucoup moins parler, sans doute parce que l’auteur d’Entre mes mains n’est pas « fille de »… L’intrigue de ce deuxième roman d’Anne-Constance Vigier rappelle l’histoire du petit Lubin, ce bébé mort des mauvais traitements infligés par l’un de ses parents – seule sa génitrice a été condamnée. Là aussi, c’est la mère qui raconte, depuis sa prison. Dans le fond, Entre mes mains raconte, comme voudrait le faire Le cimetière des poupées, l’histoire d’un couple si mal assorti, d’un amour si malade qu’il ne pouvait en sortir qu’une catastrophe. Sauf que chez Vigier, c’est toujours désespérément drôle et grinçant, sans que cela enlève quoi que ce soit au drame. Là où Mazarine Pingeot a pondu une sorte d’ »Infanticide pour les nuls, causes et conséquences », Anne-Constance Vigier a écrit un roman fort, dans lequel elle touche du doigt un basculement. Qui pourrait arriver à n’importe qui.

Raphaëlle Leyris

Le Nouvel Observateur, 27 septembre 2007

Comme l’auteur, l’héroïne est une mathématicienne. Son mari, un violoniste, lui casse la tête avec les quatuors de Bartok. Naît un bébé. Les pleurs des gniards, parfois, ça vous scie les nerfs. On sent que tout ceci va se terminer dans la rubrique des faits-divers. Crescendo dramatique jusqu’au moment où un filet de sang coule de l’oreille du nouveau-né. Un accident, un raptus aberrant de la maman ? Dans ce long monologue distancié, en dix stations suspendues, Anne-Constance Vigier installe un cauchemar suffocant digne de Rosemary’s Baby.

Patrice Delbourg

Le Matricule des Anges, septembre 2007

Construit comme une tragédie, le récit d’Anne-Constance Vigier nous transporte dans les méandres d’un esprit en mal d’humanité.

Dans ce deuxième ouvrage d’Anne-Constance Vigier réapparaît la figure de son double aperçu dans Le Secret du peintre Ostende, une jeune mathématicienne à la fois personnage principal et narratrice. Voilà deux êtres que tout sépare : elle aime Brassens, il adore Bartók. Elle est une spécialiste reconnue, une surdouée de 23 ans qui crypte et décrypte des messages pour l’armée, il est un piètre musicien. Ecartelée entre l’envie d’être comme les autres et le besoin irrépressible de les fuir, elle finit par échouer dans une vie grise et sans espoir. Du fond de sa cellule elle ouvre les pages d’une histoire banale à l’issue tragique. Dix Phases découpent ce récit rétrospectif, dont le dénouement, divisé en 9 scènes, égrène les derniers moments et les actions des principaux personnages. Ces brefs tableaux tracent le parcours géographique d’une forme d’aliénation sociale : bureau, église, maison… Transposées et distordues, les affinités entre les règles qui codifient le théâtre classique et celles qui structurent le monologue intérieur d’Entre mes mains restent prégnantes. Ici chaque Phase circonscrit une action, un lieu, dans un temps donné. Chiffrées (Phase 1, Phase 2…), elles marquent froidement l’évolution de l’angoisse maladive qui ronge celle qui ne connaît que l’univers secret des algorithmes. L’auteur a conçu chaque étape comme un huis clos. Un espace qui se ferme définitivement avant la Phase suivante. Dans ce monde sans mémoire, comment avancer, comme s’imaginer dans une lignée, s’inscrire soi-même comme un relais ?

Voilà l’héroïne  » enveloppée dans une gangue de terreur qui durcissait à l’air et semblait également rétrécir « , dont les racines marinent sans aucun doute  » dans la petite pièce au fond du couloir et hop, toutes les portes fermées.  » Ce traumatisme initial semble avoir créé un être hybride. La narratrice s’est fabriqué un personnage social, soumis à une famille égoïste,  » leur regard perplexe et contrarié de toujours « , à un époux inexistant, des êtres vides et sans humanité. Le journal nous place au coeur de la lutte permanente qu’elle mène pour que ne rompe pas la digue savamment construite. L’auteur travaille une écriture radiographique à même de rendre une vision clinique qui défait le monde de toute sensualité,  » Sa main chaude sur ma nuque. Les os de ses phalanges.  » Aux portes de l’église elle ne voit que boue et fientes d’oiseaux. Une auscultation permanente de ce qui l’entoure maintient la distance, écarte croit-elle le danger de la rencontre.

Quand le couple emménage, elle n’a d’yeux que pour ces  » petits Noirs qui s’agrippaient aux barreaux en écarquillant les yeux. La peau sèche de leurs mains sur le métal rouillé.  » La salle de bains située en lieu et place de la cave,  » un puits où se blottir « , incarne le rêve impossible du retour in utero. La naissance de l’enfant vécue dans la solitude d’une chambre d’hôpital sonne l’hallali. Au piège psychique qui se resserre inexorablement succède l’enfermement physique dans l’étroit appartement. Anne-Constance Vigier a construit son ouvrage comme on déboîte des poupées russes : une architecture qui se défait, jusqu’à l’infiniment petit. Une structure qui rend encore plus troublante cette écriture intimiste, qui sonde les profondeurs de l’âme, jusqu’à atteindre ces endroits que l’on refuse de voir.

Le processus dramatique du récit et le rétrécissement de l’espace réduisent en un instant les quelques mois qui séparent la Phase 1 de la Phase 10. Dans une langue en roue libre sans prise sur le réel, où se mêlent, indistincts, les événements et les dialogues, le monde se morcelle. La voix intérieure comprime et déforme les sons extérieurs,  » sons inhumains, destructeurs « , dans son espace déviant échouent les autres voix, noyées dans un magma de chair et de bruits. Une logorrhée à la mécanique étouffante, à la marche destructrice, étau implacable où plus rien ne respire. On ne lâche pas Entre mes mains, et on le porte, une fois fini, comme un fardeau.

Virginie Mailles Viard

DS Magazine, septembre 2007

La narratrice est prof de math (sic). La rigueur de la discipline enseignée n’a guère d’effet sur une existence qui se cherche des repères. Ils se dessinent avec la rencontre de Sylvain, un musicien avec un net penchant pour Bartok, l’installation, l’arrivée du bébé… La norme rassure. Mais elle a ses revers. Elle étouffe. Caustique, l’écriture décape la banalité et, mine de rien, ça tourne affreusement mal.

Psychologies Magazine, octobre 2007

Elle est mathématicienne, lui est musicien. Ils se rencontrent, se marient, elle tombe enceinte…

Une jolie histoire banale, pourrait-on penser. Mais très vite, on comprend que, lors de l’arrivée du bébé, la jeune femme bascule progressivement dans l’irrémédiable, dans l’inexplicable. Le bébé pleure trop souvent et l’univers de la nouvelle maman se fissure. Brillant et dérangeant.

Le Figaro Littéraire, 29 novembre 2007

Certaines mères ne sont pas des cadeaux… mais font d’excellents personnages de roman. Avec Entre mes mains, Anne-Constance Vigier, professeur de mathématiques, livre le journal d’une femme déçue. Celui d’une Bovary qui se languit du département de cryptologie militaire où elle vivait comme un poisson dans l’eau. Son rêve d’un vie de couple a rapidement tourné au cauchemar, lui laissant le sentiment de se débattre toute seule avec « avec des mouvements ridicules sous un voile ou un filet tombé d’on ne sait où ». Ce second roman consacré à l’infanticide rend paradoxalement attachant le malaise de cette marâtre. La belle porte sur le monde entier, son enfant compris, le même regard mécanique. Déjà passionnée, elle fredonnait pendant sa lune de miel : « Il est des jours où Cupidon s’en fout. » Quoique moins rêveuse qu’Emma Bovary, elle sera précipitée dans une même descente aux enfers.

A.S.

La Marseillaise, 2 décembre 2007

NOIR.  » Entre mes mains  » raconte la disparition d’une petite fille en un bref récit glacé.

Une logique meurtrière.

C’est un récit très découpé et sans pathos. Son originalité tient au style presque clinique de Anne-Constance Vigier qui fait basculer une histoire assez banale dans une atmosphère aux confins du fantastique. Pour exemple, les chapitres sont considérés comme les étapes d’un calcul complexe et intitulés  » Phases « . Il y a dix phases dans cette histoire de disparition – désagrégation serait peut-être une mot plus approprié – d’un enfant. On peut aussi les lire comme les stations d’un calvaire.

Celle qui raconte, c’est la mère, une jeune mathématicienne qui réussit dans son domaine, mais échoue dans le cercle des relations affectives et familiales. Comme exclue du monde sensible, elle en devient presque borderline. L’enfance était un cauchemar, le mariage avec un violoniste obsédé par Bartok ressemble à une hallucination. L’appartement est une prison, tirée d’un roman de Kafka. A-t-on idée de mettre une salle de bains dans une cave ?

Anne-Constance Vigier décrit la lente descente aux enfers d’une femme qui n’a pas de prise sur la réalité.

Ce n’est pas un roman psychologique, ce n’est pas un roman réaliste, ce n’est pas une autofiction, c’est un thriller mental où tout est pensé, construit et aménagé dans une logique meurtrière.

Claudine Galea

La Revue Littéraire, Hiver 2008

« Un des enfants : Hélas ! Que faire ?
Où fuir les mains d’une mère ? »
Euripide, Médée

Force est de constater que la dernière rentrée littéraire s’est entêtée à lever un tabou. Et un tabou des plus tenaces, celui qui peut-être démange le plus nos peaux baignées de judéo-christianisme, celui qui peut-être aveugle le plus nos regard repus de Madone à l’enfant, picturales, scupturales mais aussi médiatiques et publicitaires : on jubile quand Estelle Lefébure enfouit son visage à l’ovale parfait dans les plis grassouillets de son bébé en nous expliquant les bienfaits d’un lait pour le corps, on applaudit et on soupire de soulagement lorsque les donzelles les plus délurées d’hier se rangent des voitures et pérorent sur les couvertures des tabloids au « volant » de leur poussette. On les absout alors : C’est donc pour ça, les excès, les folies ! La fin justifie les moyens.

Pourtant, cet automne, dans ce climat de glorification béate de la maternité, des femmes, parfois mères, notamment Mazarine Pingeot et Anne-Constance Vigier, ont choisi de parler de ça : l’innommable, l’indicible : l’infanticide. Dans quelles circonstances le fameux instinct maternel ne s’enclenche-t-il pas ?

La fascination que ce crime entraîne n’est pas nouvelle, de Médée à Christine Villemin et Véronique Courjault en passant par Catherine de Médicis, les mythes, et les faits divers qui en deviennent, se nourrissent de nos peurs viscérales, profondément enfouies et tues : J’ai été une victime potentielle de la folie meurtrière d’une mère, de son pouvoir absolu et presque absurde de vie et de mort sur moi.

Autre variante, plus effroyable encore : Je suis potentiellement capable de folie meurtrière, je détiens le pouvoir absolu de vie et de mort sur un être qui dépend entièrement de moi.

Le roman d’Anne-Constance Vigier prend des allures de tragédie antique. Une sorte de prologue nous annonce une terrible fin dès la première page, il ne nous reste plus qu’à remonter le cours inexorable des dix « phases » que ce livre propose.

Ce faisant, notre lecture première se dédouble en décryptage des signes annonciateurs du drame et de ce fait, à chaque page, on soupçonne, on épie, et, à l’instar de la narratrice, jamais on ne se laisse emporter par l’émotion que devrait, normalement, procurer son état, notre état.

En effet, le moteur de l’auto cale et voilà le beau Sylvain qui dérape verbalement et effraye sa fiancée. Sera-t-il à la hauteur ? Et que dire de cette union des chairs qui tourne au fiasco désolant et qui fait scientifiquement prévoir à la narratrice que tout rentrera dans l’ordre puisqu’ »il est généralement admis que les corps se font les uns aux autres ».

Et ainsi, un à un, on égrène avec ce personnage, au son de sa voix intérieure, les caillots qui s’immiscent dans cette « machine infernale », au cours des dix phases qui sont autant de stades évolutifs débilitants, autant de stations qui nous mènent au calvaire final. Des morceaux imposés, des passages obligés, sortes de « tableaux » qui scandent la vie d’une femme : emménagement dans le domicile conjugal, mariage, lecture du test de grossesse, première échographie…

On refait donc avec la narratrice l’itinéraire circulaire qui nous mène du drame au drame dans une indétermination verbale qui rejette en bloc toute distinction, toute discrimination entre actes et discours, entre discours et pensées, entre discours propres et discours de l’Autre, et entre discours présents et rétrospectives. Il en résulte une impression de flottement qui ne laisse rien présager de bon, une contamination de l’être par son environnement qui le fragilise, l’empêche de délimiter ses propres contours, de s’affirmer y compris par le refus face à l’autre, face aux autres. S’ensuit un délitement de la personnalité du sujet qui conduit à l’hébétude finale :  » C’est arrivé et ce n’est pas arrivé. C’est moi et ce n’est pas moi. »

Anne Prigent